La réforme de la garde à vue
Rappel :
Avant la Loi du 14 avril 2011, en cas de placement en garde à vue, la personne avait le droit de s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure et durant une demi-heure.
Cet avocat n’avait pas accès au dossier.
Les seuls éléments à sa disposition étaient le nom du gardé à vue et l’infraction qui lui était reprochée.
En 2010, plusieurs décisions retentissantes rendues par la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ont contraint la France à revoir en profondeur le régime de la garde à vue.
L’impulsion a été donnée par la CEDH dans les arrêts SALDUZ et BRUSCO.
La première décision consacre le droit à toute personne placée en garde à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire.
Elle est confirmée par deux arrêts ultérieurs DANAYAN et SAVAS.
La décision rendue le 14 octobre 2010, dans l’affaire BRUSCO concerne directement la France.
La CEDH constate que le droit français viole la Convention en ne permettant pas à l’avocat d’assister son client dès le début de la garde à vue, ce qui implique d’être présent lors de l’interrogatoire et d’avoir accès au dossier.
En parallèle au niveau national, le Conseil constitutionnel a estimé en juillet 2010 que le droit commun de la garde à vue n’encadrait pas suffisamment les conditions du placement et de la prolongation de cette mesure et qu’elles ne prévoyaient pas de garanties suffisantes pour les droits de la défense notamment concernant l’assistance effective de l’avocat.
Dans une décision rendue le 19 octobre 2010, la Cour de cassation a emboité le pas au Conseil constitutionnel en décidant que le régime français de la garde à vue n’était pas conforme au droit européen.
C’est dans ces circonstances qu’une réforme a été entreprise.
1. La Loi du 14 avril 2011
Le 14 avril 2011, la Loi n° 2011-392 relative à la garde à vue a été votée.
Elle a été publiée au JORF le 15 avril et entrera en vigueur le 1er juin 2011.
Elle pose en préambule qu’aucune condamnation ne pourra être prononcée contre une personne sur les seules déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir au préalable avec un avocat et être assistée par lui.
Elle modifie le régime actuel de la garde à vue notamment sur les points suivants.
Une personne pourra être placée en garde à vue dès lors qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement.
Cette référence à la peine d’emprisonnement encourue est en pratique sans incidence puisque la majeure partie des délits est punie d’emprisonnement.
La prolongation de la mesure est également conditionnée à la peine encourue qui doit être égale ou supérieure à 1 an de prison.
Là encore la portée de cette disposition est nulle puisque la peine d’emprisonnement minimale prévue pour la quasi-totalité des délits est de 3 ans.
Le texte renforce le droit à l’information du gardé à vue et consacre le droit au silence qui doit lui être expressément notifié.
La liste des personnes à prévenir est modifiée et complétée.
Le gardé à vue n’a plus une simple option entre faire prévenir un proche ou son employeur, il peut désormais faire prévenir un proche ET son employeur.
Le texte permet d’éviter à l’individu un arbitrage souvent difficile.
Il peut également faire prévenir son tuteur ou curateur.
Si la personne est étrangère elle peut faire prévenir les autorités consulaires de son pays.
L’apport essentiel de la Loi concerne l’intervention et l’assistance de l’avocat.
La personne peut être assistée d’un avocat dès le début de sa garde à vue.
L’avocat, qui jusque là avait un rôle extrêmement limité, aura accès au procès verbal de notification du placement en garde à vue, au certificat médical et aux procès verbaux d’audition.
L’avocat pourra immédiatement s’assurer que la personne gardée à vue s’est vue notifier ses droits.
S’il ne peut pas faire de copie du dossier, l’avocat aura en revanche la possibilité de prendre des notes.
Il pourra également en prendre lors des auditions et confrontations lors desquelles il peut désormais être présent.
Son rôle est toutefois limité puisqu’il ne pourra poser de questions qu’à l’issue de l’audition ou de la confrontation.
L’avocat disposera d’un délai de deux heures pour se déplacer dans les locaux de police et assister son client.
Les enquêteurs devront attendre l’arrivée de l’avocat pour interroger le gardé à vue sauf lorsque l’interrogatoire porte uniquement sur des éléments d’identité.
Le délai de deux heures commence à courir compter de l’avis qui est fait par les enquêteurs.
Passé ce délai l’interrogatoire pourra débuter hors la présence de l’avocat mais devra être interrompu dès son arrivée.
Ce droit effectif à l’avocat dès la première heure est différé lorsque les nécessités de l’enquête exigent une audition immédiate de la personne.
Cette audition immédiate doit être autorisée par le procureur par décision écrite et motivée.
Le respect de la dignité de la personne gardée à vue est garanti.
Les fouilles au corps, mesures humiliantes régulièrement utilisées en pratique, sont prohibées sauf si elles sont indispensables pour les nécessités de l’enquête.
Les mesures de sécurité imposées à la personne devront être strictement nécessaires.
Bien que ce texte comporte des avancées majeures en matière de Droit de l’Homme et Droits Fondamentaux, il ne va pas assez loin dans la protection de ces droits et demeure contraire au droit positif national et supra-national.
Dès le 15 avril, ce texte a été remis en cause par la Cour de cassation.
2. Les quatre arrêts rendus par la Cour de cassation le 15 avril 2011
Par quatre décisions du 15 avril 2011, la Cour de cassation a imposé une application immédiate des trois dispositions majeures de la Loi sans attendre son entrée en vigueur.
Il s’agit :
- de la présence effective de l’avocat dès la première heure et lors des auditions
- de l’accès au dossier
- de la notification du droit au silence.
Les arrêts vont plus loin que la Loi puisque le droit à l’assistance d’un avocat dès la première heure n’est soumis à aucune exception.
Ce droit ne peut pas être retardé ou limité.
De même, l’intervention de l’avocat au cours des auditions et confrontations n’est pas limitée à des questions à l’issue de l’entretien.
3. Les incidences pratiques.
Dès à présent, les avocats pourront se prévaloir des arrêts rendus le 15 avril 2011 sans attendre l’entrée en vigueur de la Loi.
Mais déjà de nombreuses difficultés pratiques apparaissent.
Ces difficultés tiennent pour l’essentiel à un manque de moyens mis à disposition des enquêteurs et de la Justice.
Au niveau des commissariats ou gendarmeries, il faudra prévoir suffisamment de salles pour accueillir les avocats, non seulement pour les auditions mais également pour leur permettre de consulter le dossier sereinement et de se reposer entre deux interrogatoires.
L’avocat devra être présent à chaque fois que le gardé à vue sera entendu par les enquêteurs.
Il devra être immédiatement disponible.
Les Barreaux devront revoir intégralement les systèmes de permanence actuellement en place.
Les avocats sont rémunéré 61€ au titre de l’aide juridictionnelle pour l’assistance de la première demi-heure.
Cette aide devra être revalorisée si la présence de l’avocat doit se prolonger.
Pour l’heure l’aspect financier n’est pas du tout abordé par la Loi.
Cette Loi constitue une avancée historique pour le Droit français.
Mais il s’agit d’une réforme non aboutie, faite dans la précipitation, votée sans les moyens permettant aux différents acteurs de la mettre en œuvre et d’ores et déjà remise en cause par la Cour de cassation.
La précipitation dont a fait preuve le Législateur est d’autant plus incompréhensible que le débat entourant la garde à vue est vieux de plus de 10 ans.